Hommage aux Plonk et RePlonk, leader inconstesté du nain de jardin bétonné.
Les années nonante voient l’avènement d’un monde uniforme au niveau idéologique et économique avec la chute du régime soviétique. La mise en place d’un marché libre et global, la démocratisation des moyens de communication comme symboles d’échanges et de transferts facilités. Chacun s’en retrouvant décontenancé par sa seule fonction utilitaire au sein de ce système de capitalisation outrancière, par l’insignifiance de son être vis-à-vis de l’Histoire, de la misère et de l’horreur – à tel point que leur havre de répit s’est avéré être leur cathédrale personnelle. La métaphore de l’édifice religieux doit ici être interprétée tant comme espace de réalisation de la satisfaction individuelle que de la fonction hautement ostentatoire et symbolique des objets occupant cet espace. Culte de la propriété individuelle, sacralisation définitive du JE face au néant. Perdus dans les déserts technologiques et urbains de leur société, le roi-moi s’est enfermé plus que jamais dans ces cubes de béton empilés et conçus pour ses facéties par des facétieux.
Les plus chanceux d’entre eux et aussi les plus prospères possédaient un jardin. Véritables îles d’épanouissements individuel ou familial, les jardins privés constituaient une extension de l’espace personnel dans une atmosphère de bénéfique retour à la nature. Selon les intérêts de chacun, le jardin était utilisé de différentes manières : certains jouaient, d’autres jardinaient. Les plus maniaques d’entre eux avaient l’étrange habitude de remettre le jardin-temple à ses gardiens ; les nains. Minutieux, joviaux et tenaces, ces créatures de terre cuite symbolisaient un entretien irréprochable du jardin, donc de son environnement, donc de sa personnalité. Les nains étaient un prolongement miniature, idéalisé de l’identité.
Dans ces temps troublés, les humains étaient pris de peurs primales vis-à-vis de l’autre, d’angoisses concernant les éventuelles atteintes à leur individualité, les amateurs de nains de jardin comme les autres. En Suisse par exemple ou le protectionnisme de ses biens relevait d’un devoir étatique et personnel, les velléités sécuritaires ont commencé très tôt avec le secret bancaire et la protection des données. Puis au crépuscule du siècle de terreur marquant la fin du deuxième millénaire, la Suisse devient le noyau central de la sécurisation du nain de jardin, quatre-vingt ans après avoir vu éclore le mouvement Dada. Procédé au demeurant très simple qui consistait à enfermer le nain dans un cube de béton afin de lui assurer une quiétude solide et durable.
Quelques années avant le XXIème et en pressentant ses dérives sécuritaires, l’encastrement de nains de jardins était un présage révolutionnaire et méconnu dans la compréhension des paranoïaques années 2000. Ici les nains symbolisent tant la vénération pour les objets de cette société matérialiste que la possibilité d’identification du Moi dans ces minis idéalisations fantasmagoriques. D’un côté l’objet, artefact religieux de part sa relation à l’individu, d’un autre la peur de la perte.
Le nain bétonné est une révolution du rapport au monde de l’objet et à l’objet du monde au moins autant importante que l’urinoir de Marcel Duchamp. L’idée du double encastrement devient mise en situation abyssale ; l’humain enfermé dans son cube de béton, se vouant au culte relationnel aux objets enfermant ses objets dans du béton par peur de spoliation identitaire.
L’homme est un loup pour le nain…
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