mercredi 17 avril 2013

...le devenir jeunesse sonique...



Les mots - sinistres photographies d’un réel inintelligible –
Les images – preuve accablante d’une réalité inachevée -
se voient pourfendus par la jeunesse sonique.

(photo : kit brown, bikini test 2013)

Tous les remparts de cette condition humaine à laquelle il faut échapper disparaissent sous l’intensité musicale. La Raison et ses travers vicieux, la Vérité, le pourquoi du comment, le Verbe. Au diable les chaînes de l’exactitude, le poids de la pensée, le bagne social et ses codifications merdiques… Le piège du trop ! Toutes les formes artistiques seraient une vaine tentative de devenir musique…

La musique dissout la pensée dans un océan de sensations.

Le rock n roll libère l’animal que nous aimerions devenir de la raison qui nous en empêche…

La musique c’est la même chose différente à chaque fois.

Le rock est cellulaire. Chaque chanson est un rappel sensoriel inscrit quelque part. Comme les traces des rêves, comme les traces des cendres… comme les ruines célestes de sa présence passée…

Quelque chose à aimer, quelque chose à haïr… quelque chose qui nous lie.

Ecouter ensemble… se dissoudre séparément. 

 (photo : Kit Brown)

Une sorte de tension permanente planant autour de la musique, car il s’agit de se l’approprier. Il y a ceux qui détestent Metallica, ceux qui les adorent, ceux qui les aiment mais n’osent pas le dire car leur grand-frère les détestent… Parce qu’il faut se positionner. Socialement c’est important… ne pas oublier qu’on est des humains… classer, trier, s’en accaparer… 

Il y avait quand même les Rage qui nous réunissait… combien de bars dans combien d’endroits, combien de fêtes dans combien d’appartements, combien de point tendus en l’air pendant Killing in the name ? Comme le manifeste d’une génération, comme si pendant cinq minutes on avait vraiment l’impression de se rebeller, leur dire d’aller se faire foutre, leur dire qu’on ne suivra pas le mouvement.

Mais à chaque fois que Killing in the name sort d’une sono ici, là et même ailleurs, cette énergie revient, cette envie de tout foutre en l’air. Pourtant ici et maintenant, le non-conformisme est géré par les multinationales… la chimère du libre-arbitre, l’infini des possibles s’offrant aux citoyens occidentaux pendant qu’on les oppresse avec des crises économiques et des chutes de marché. Comme si on avait le choix.  Comme si on était libres. Tandis que c’est un bordel monstrueux ce monde ! Tandis que comme un symbole ironique ou un présage malsain, c’est en Grèce que l’Occident se pète la gueule en premier ! Comme si la société se nécrosait dans sa matrice… Du coup cette chanson a le mérite de rassembler au moins pendant quelques minutes. Au moins cette chanson est une furieuse illusion de colère adolescente…

Le négatif de ses souvenirs se superpose avec la réalité positive qui l’entoure

Les morceaux de musique sont autant de renvois à des situations vécues, des fêtes orgiaques, des moments d’évasions…écoulement mnésique de femmes rencontrées, de sexes visités, de salives échangées…Le rock n roll libère l’animal que j’aimerais être de la raison qui l’en empêche…Le rock n roll est une nécessité, une addiction, une rage, une beauté incontrôlée. ADN des sens. Force motrice de la vie. Globule d’énergie qui anime le cœur et déchire les chairs. Le rock est le monstre assoiffé, la créature hybride qui habite mes limbes. Celui qui veut tout dévorer, boulimique de sa propre destruction…avide de chaos, de dégénérescence, d’abjection et de scandale, de non-sens, de nuits sans fin et d’ivresses incommensurables…instincts déchaînés…mémoire électrifiée s’amplifiant dans le maintenant…cri de la tentation.

Alors que le désastre global d’un monde sur le point de péricliter nous entoure comme un imperceptible nuage radioactif ; la musique est partout, tissant l’espace utopique où se complaire. La musique se joue live et on en jouit ensemble, comme une résurgence de nécessités extatiques. Les concerts se succèdent et se consument, s’incrustant profondément dans la mémoire sensorielle. Comme les traces des rêves, comme des relents d’extase… comme un coït auditif !


samedi 6 avril 2013

Lésion Secrètement Dangereuse



« Nous vivons dans un temps trop excentrique pour s’étonner un instant de ce qui pourrait arriver. »
Lautréamont – Les chants du Maldoror

Iggy Pop et Keith Richard auraient donc une réserve de sang suffisante pour leur deux corps, ils fonctionneraient en circuit fermé. Uns des secrets les mieux gardés de l’histoire du rock n roll !
La fin des années soixante annonce la retombée du vent libertaire qui a soufflé quelques instants. La mort lente des instincts et la sclérose sociétale à venir. Ils ont eu peurs les salauds ! Plus jamais de rassemblements, plus jamais d’élans communautaires qu’ils disaient ! Il s’agira de gérer l’instabilité, il s’agira de capitaliser sur la contestation qui est née. 

L’année 1968 va enclencher l’horreur des utopies détruites par l’inhumanité systémique des gouvernements. Malgré Woodstock et la possibilité de changement que le festival va insuffler, malgré la révolte globalisée d’une jeunesse qui voulait autre chose, c’est dans un bain de sang que la liberté sera balayée par la répression. Martin Luther King se fait assassiner, l’armée tue des milliers de manifestants à Mexico-City et les menaces diverses des cafards métalliques en uniforme font ressembler à un champ de bataille les manifestations étudiantes. Ceux qui avaient cru en une société meilleure pouvaient se noyer dans l’amertume de leurs larmes. Heureusement il y avait la baise et le LSD ! La fuite devenue une nécessité c’est dans une débauche hallucinatoire et un éveil des sens bienvenu que les années soixante vont se terminer. Mais comme une tache de sang et un présage lugubre, une ombre maléfique plane autour des Rolling Stones. La tuerie pendant leur concert au festival d’Altamont et la mort de Brian Jones vont montrer au groupe le plus mythique du rock les dangers qu’il engendre…
C’est plus ou moins dans ce contexte-là que les vampires de la HELLVICE n’ Co ont décidé de gérer l’élan dionysiaque que la musique et les idéaux ont fait naître. Alors que meurent successivement Janis Joplin, Jimi Hendrix et Jim Morrisson, alors que Syd Barrett s’est envolé et que l’héroïne a creusé d’indélébiles sillons sur le visage céleste de Nico, les vampires mercantiles se frottent leurs mains anguleuses. Quoi de mieux que la morts des saints pour créer une religion ? Ils avaient été trop loin, ils étaient trop libres… les vampires s’en foutaient. Les martyrs étaient morts, ils pouvaient faire du rock n roll une croyance, ils pouvaient faire de chaque musicien un pasteur, de chaque fan un dévot !

Le trépas des héros pouvait cimenter la mythologie nécessaire à la foi, les vampires s’en réjouissaient, mais il leur fallait également penser à la nécessaire pérennité de leur entreprise. C’est alors qu’une miraculeuse silhouette reptilienne se distingue dans les fumées industrielles de Detroit. Un type dopé jusqu’à l’os qui gueule sans cesse :  

I'm a street walking cheater with a hand full of napalm.  

Il s’appelle Iggy Pop. 
Les vampires réagissent directement voyant en lui l’incarnation des vieux mythes qui les enrichissent. Il fallait tenir ce mec-là en vie, faire de lui un symbole. Avec les Rolling Stones qui avaient décidé de continuer, le tour était joué ! 
Keith Richard d’un côté de l’atlantique, Iggy Pop de l’autre… La HELLVICE n’ Co avait mis en place son plan ! Des énormes quantités de sang ont été prélevées sur des toxicomanes sains et conservées dans les meilleures conditions en attendant que fléchissent les corps des nouveaux apôtres. Ce qui est arrivé à partir des années 90. Mais grâce aux transfusions sanguines répétées et à un ingénieux processus d’échange de sang entre les deux corps, Iggy et Keith se portent plutôt bien, font des pubs pour des grandes marques et continuent de nourrir les fantasmes les plus étranges. Cependant les corps mutent et la qualité du sang se détériore au fil des passages à travers les deux organismes. 

Depuis la mort de William Burroughs en 1997 et grâce au génie du médecin qui lui avait prélevé une grande quantité de sang avant la fin, la HELLVICE n’ Co a pu développer le moyen révolutionnaire de faire vivre Iggy Pop et Keith Richard au moins aussi longtemps que le capitalisme. Peut-être plus longtemps ! Peut-être ils pourraient les faire vivre mille ans…