Thanks for everything John
Souvenirs de la venue de John Giorno à La Chaux-de-Fonds. Pour une performance au LABO de l'ABC en décembre 2013. Quelle chance d'avoir pu ouvrir pour lui. Sans lui, rien n'aurait été possible. On lui doit tout... merci John... texte extrait de mon essai "No(w)body" !!
Le 7 décembre 2013 John Giorno arrive à La Chaux-de-Fonds par le train de Besançon, il est accompagné du poète et professeur à l’école d’art Michel Collet et il vient pour une performance au Centre de Culture ABC. On l’attend avec crainte et impatience avec Yvan Cuche, le directeur du théâtre.
L’homme est petit et magnétique, ses yeux semblent avoir vu l’humanité entière, son énergie est puissante, sa voix agréable et son humour plein de malice. Une vidéo du groupe R.E.M. rend hommage à ce visage, à ces yeux, à cet homme, ce poète rassembleur, ce sage tranquille. Un gros plan en noir et blanc sur le visage de John Giorno qui cligne des yeux, sourit, incline à peine la tête. La chanson s’appelle We all go back to where we belong… Giorno décède en 2019 et retourne là où il appartient, rejoignant certainement les poussières cosmiques laissées par les corps d’Andy Warhol et de William S. Burroughs, de Jack Kerouac ou d’Allen Ginsberg, tous ses anciens amants, tous ses anciens amis.
De Marcel Duchamp à Sonic Youth, de John Cage à Psychic TV, d’Andy Warhol à Patti Smith, de Lydia Lunch à Bob Dylan cet homme agit comme un liant silencieux d’une époque à une autre, d’une discipline artistique à une autre. Avec son label nommé le Giorno Poetry System il publie de nombreux albums qui fonctionnent comme un musée vivant de la culture alternative. Des morceaux inédits, des rencontres entre des poètes et des musiciens, des mots et des sons.
En sage tranquille, en rassembleur, en canalisateur énergétique, John Giorno aimante des artistes attirés par son idée du partage et les projets qu’il met en place célèbrent une poésie qui se doit d’être sonore, militante, mystique, publique et diffusée. En 1968 ils mettent en place avec William Burroughs une expérience poétique appelée Dial a Poem dans laquelle le public peut appeler une hotline et écouter un poème, un discours politique, des mantras bouddhistes ou de la poésie queer. Patti Smith, Meredith Monk, Laurie Henderson, Allen Ginsberg, mais aussi Bobby Seale, uns leaders des Black Panthers ou Amiri Baraka, le fondateur du Black Art Movements. À travers Dial a Poem la poésie redevient dangereuse pour la première fois depuis Antonin Artaud, le FBI met la pression sur Giorno et Burroughs et la ligne téléphonique est fermée en 1970.
Quarante trois ans plus tard à La Chaux-de-Fonds en 2013, John Giorno déclame ses odes à la vie et la mort, à la circularité éternelle, à la poésie réparatrice et libératrice.
Un long poème intitulé Thanks 4 Nothing cristallise tout le souffle vital de son travail, toutes les inspirations et les expirations, toutes les expériences cumulées, les sensations écoulées. Il espère que toutes les drogues qu’il a ingurgitées, que tout le chocolat qu’il a mangé, tout le vin qu’il a bu, tous les joints qu’il a fumés, tout le sexe qu’il a pratiqué viennent enivrer à leurs tours son audience, rendre les gens heureux, vivants, fluides. Il évoque les esprits de Burroughs, de Warhol, de tous les autres… il espère ainsi enclencher une partouze improbable dans ce petit théâtre de La Chaux-de-Fonds.
Une orgie joyeuse à laquelle les fantômes de Blaise Cendrars et de Karl Marx, des membres du Living Theater, Stefan Zweig ou Bakouhnine s’invitent spontanément. De l’émanation de la vie sur terre à sa vie à lui, il évoque et relativise l’aventure humaine, de son destin commun à la trajectoire individuelle de ses membres. Une même énergie entre le groupe et la particularité de chacun qu’il rassemble dans les projets du Giorno Poetry System.
Les mots sont des énergies qui émanent des corps, les corps des énergies éphémères coagulées qui jaillissent du vide. Face à l’immensité nébuleuse du cosmos et devant la circularité de l’Histoire, les individus sont des amas momentanés qui voient, qui crient, qui parlent, qui écoutent, qui partagent.
Pendant ses performances, seul avec ses mots qui s’échappent de lui, John Giorno répond à l’infini par un processus évanescent mais répétitif.
"Twenty billion years ago
in the primordial wisdom soup
beyond comprehension and indescribable
something without substance moved slightly
(...)
why did it happen
because something substance less
had feeling of missing something,
not
getting it
was not getting it"
John Giorno - Thanks 4 Nothing































