« Va, tu es libre, lui dit-on de nouveau, et il ne bouge pas, il reste immobile au milieu de la rue, lui et tous les autres, ils sont effrayés, ils ne savent pas où aller, et c’est parce qu’il n’y a aucune comparaison entre vivre dans un labyrinthe rationnel comme l’est pas définition un hospice de fous et s’aventurer sans la main d’un guide ou sans laisse de chien dans le labyrinthe dément de la ville où la mémoire ne sera d’aucuns secours puisqu’elle sera tout juste capable de montrer l’image des lieux et non le chemin pour y parvenir. »[1]
José Samarago
L’aveuglement
L’auteur imagine une société subitement atteinte de cécité. Remise en question de toutes les choses prises pour tangibles auparavant. La perception visuelle ôtée, l’anarchie s’installe. Mise en quarantaine des malades dans un asile désaffecté, de plus en plus d’aveugles car l’épidémie s’est étendue…
Tout est parti d’un mec qui devient aveugle au volant. On l’amène chez l’ophtalmologue, tous les gens qu’il croise perdent rapidement la vue… Dans ce chaos, la femme du médecin conserve la vue en devenant le témoin inutile de ce désordre, endossant le rôle du guide/martyr vis-à-vis de la masse… En étant la seule personne qui voit, elle se doit d’aider, de guider les autres, tout en étant obligé de mentir sur sa situation. L’auteur décrit l’horreur de l’enfermement et les transferts qui s’y installent, les rapports sociaux qui mutent en s’inversant… Des rapports sexuels bestiaux et détaché de l’idée du beau, de l’âge… de la perception quoi ! La femme du médecin regarde avec découragement son mari baiser sauvagement avec une autre, mais sans l’en empêcher pour autant. Si on ne voit pas, si on ne croit pas, pas de couple, pas de morale, pas de religion possible… Sans l’œil pas de croix, pas de pays, pas de drapeaux ! Pas d’art non lus ceci-dit… Tout se bouleverse et se translate. Dans l’asile, certains aveugles s’octroient de la nourriture et usent dès lors ce nouveau pouvoir… tout dégénère… viol, meurtres, panique, morts en tout genre… mais toujours pour les mêmes causes : la propriété et la domination…
Une fois l’épidémie installée dans la société entière, ceux qui sont enfermés se rendent compte que plus personne n’est malade ou que tout le monde l’est, que la norme s’est inversée, que la société est aveugle. Dès lors la deuxième partie du roman décrit une société nomade. Une masse errante qui développe l’odorat et le toucher, dont les individus ne retrouvent jamais l’endroit où ils ont dormis le soir précédent… alors que la femme du médecin voit toujours, enfermée dans sa solitude, car à quoi ça sert si on ne peut rien partager ?
L’aveuglement est une parabole magistrale et terrifiante de notre société, comme tous les romans de Samarago ; que se passe-t-il si plus personnes ne meurt, si tout le monde vote blanc ou si personne ne voit plus rien. Au-delà du style de Samarago, précis, érudit, perturbant, narrateur tantôt présent, tantôt absent. Comme si le narrateur voyait tout en étant aveugle. Samarago nous questionne sur la stabilité du monde ou plutôt de ce que l’on pourrait croire stable… le lien entre le croire et le voir… entre le voir et le tenir pour vrai…
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