Divagation sur
Ballad of a thin man
Bob Dylan – Highway ’61 Revisited, 1965
Un homme, filiforme, peu systématique dans ses déplacements, le regard triste…un homme erre dans les rues, les rues de sa ville…Il ne les connaît pas…les rues paraissent vides- pas vraiment- mais c’est le propos d’une autre chanson. Il ne perçoit plus les chose du monde comme à l’accoutumé. L’air est lourd. L’atmosphère de la ville est chargée de plomb. Il continue d’avancer dans l’épaisseur glacée de sa nuit. La tranquillité de l’apparence qu’il croit effleurer l’angoisse…L’angoisse s’éveille…
“But something is happening here
But you don’t know what it is
Do you, Mister Jones? ”
Qui cet homme ? Ce Monsieur Jones à l’ambiguïté identitaire. Existe-il ? On alors est-ce un terme générique ? Il avance, l’air – ou alors est-ce un son – se tend…devant son innocence, il y a un corps nu, il ne comprend pas. Il se rassure, ce n’est qu’un cauchemar, l’inconscient veut le pousser dans le « jardin des délices »…il y résiste…sa raison, son éducation, sa religion…voilà les barrières, les garde-fous, les fondations d’une vie prédéterminée. Il y a devant ses yeux : un corps nu, des gens bizarres…que font-ils ? Les pensées s’entortillent sur elles-mêmes, s’entrechoquent avec les sensations. Il n’arrive pas à superposer l’image de son souvenir avec la réalité de son image : les rues, l’entrée de la maison et cette pièce…ce sont les mêmes que toujours, mais différentes…Pourquoi a-t-il toujours voulu voire ordre, stabilité et propreté là où seule la dégénérescence régnait ?
“”It’s his”
And somebody else says, “Where what is ? “
And you say “Oh my God, am I here all alone?””
Quand le réel se déforme, le petit homme perd ses repères. Il tenait pour vrai, habituel et tangible l’organisation de cet espace. Désormais, tout lui est devenu étranger. Il se sent comme Ad dans Soft Goulag, mais il est juste un personnage dans une chanson de Bob Dylan…
“How does it feel to be such a freak ?”
Altérité…Découverte d’un monde jusque-là imperceptible, non existant tellement il renferme de perversion. Il ne sent plus le sol sous ses pieds et ses pensées sont vides. Peut-être est-ce sa tête évidée de son contenu éthéré ? Il se faisait l’idée d’un monde stable, d’individus disciplinés, un monde d’ordre et de sécurité. Pourquoi tant de vices ? Des corps nus …ces une déviance irrespectueuse ! Lui qui a travaillé dur, qui s’est tuer à la besogne afin d’éviter le piège létal de l’oisiveté. Maintenant, il vogue à tâtons dans cet univers peuplé de créatures étranges, bien qu’anthropomorphes. Une anthropomorphie d’un autre genre…contre-nature, trop peu conforme au monde qui lui est commun.
“You’ve been with the professors
And they’ve all liked you looks”
Oui son look, son genre, ses manières, ses habits, oui tout cela correspond à son univers ; avocats et personnage de Fitzgerald. La propreté de son logis, la précision de ces habitudes…Toute cette stabilité calculée, cette vie arrangée explose dans son errance nocturne, explose au cours de cette ballade d’un homme tranquille…
“But something is happening here
And you don’t know what it is
Do you Mister Jones?”
Cette suite de pas sans fin et sans but lui donnait la sensation d’être enfermé dans un blues endiablé. Un univers de tristesse et de désolation…Lourdingue ! Une rythmique lente, insoutenable mais dévastatrice.