…Nox Orae…
Les montagnes ressemblent à des sages éternels, à des bouddhas millénaires dont l’immuabilité méditative partage l’horizon en zones colorées… Une double idée du bleu prend forme ; le lac oscillant et le ciel infini… les gens déambulent, les sportifs s’activent, les enfants s’amusent avec une insouciance communicative. De nombreux parcs, des espaces verts, bancs publics et arrangement floraux… Ici tout semble avoir été méticuleusement agencé, organisé, orienté dans une optique de mise en valeur de ce cadre idyllique. Ici l’apparence du réel semble avoir été sur-magnifiée… ici le réel semble avoir été irréalisé…
Alors que mes pensées coulent paisiblement, assis à l’ombre d’un séquoia en regardant le lac et le découpage de l’horizon par les montagne millénaires, les premiers coups de grosse caisse se font entendre dans le ciel infini. Je lève les yeux ; une partie du Brian Jonestown Massacre se balade au bord du lac, découpant l’horizon d’une toute autre façon que les montagnes. Soudain ; tout me revient, la distortion sonore terrifiante provoquée par le Thurston Moore Group, Debbie Googe martelant sa basse avec frénésie, l’osmose avec laquelle dialoguent les guitares de Thurston Moore et James Sedwards… un réveil des zones sub-mnésiques, post-neuronales… des chansons qui s’étendent, mutent, dérivent… des balises reconnaissables instantanément dans le magma sonore…
Soudain ; tout me revient… Spectrum / un voyage intangible, d’une introspection totale à une forme de mantra post punk… Un truc qui monte jamais complètement, mais qui pousse à une forme de transe hypnotique dont l’apothéose est dans la répétition elle-même… Tout me revient, des gens tatoués partout, une jovialité ambiante, une ivresse nécessaire, furieuse, partagée et communicative. Un besoin de vivre autrement, d’occuper différemment cet espace si méticuleusement agencé. Les rires alcoolisés se répercutent le long du lac, ricochent sur l’eau et défient les étoiles. La fureur cachée, la sauvagerie dissimulée… le double opposé… un réel dé-réalisé…
Une ville qui suinte le rock n roll par tous les pores de ses vieilles ruelles… une réponse obligée à ce monde comme à cette entreprise agro-alimentaire organisant depuis Vevey son programme d’empoisonnement globalisé… une entreprise qui contrôle les estomac d’une grande partie de la population mondiale… FORKS / BUVETTE / VERVEINE / ZAHNFLEISCH…comme un fuck off ironique ou une prise de distance bienvenue, certains des nombreux excellents groupes qui se forment ici ont choisi un nom à consonance alimentaire… car la nourriture qu’ils ingurgitent n’est pas celle qu’on leur impose…
En s’insérant dans ce cadre idéal, le Nox Orae symbolise la nécessité absolue de s’en éloigner, de l’expérimenter autrement… d’un retour à une simplicité retrouvée, à un partage humain, à une programmation exigeante, subtile et surprenante… Cette envie de prendre le temps d’écouter de la musique, de laisser les sucs gastriques de nos estomacs sensitifs digérer les concerts expérimentés, de rencontrer des gens…
…Le Nox Orae est une réalité bien plus réelle que la réalité sur-réalisé l’entourant…
Dejan Gacond, Vevey, 27.08.2016
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